À l'autre bout du film

 

Réunissant Leurs centres d'intérêt, Jean-Gabriel Périot et Alain Brossat s'interrogent sur le pouvoir de l'image, ses liens avec la politique et notre histoire.

Mon premier est cinéaste, révélé au grand public par un documentaire sur la Fraction armée rouge, Une jeunesse allemande, en 2015. Mon second est philosophe, diagnosticien sans concession d'une époque dépolitisée, gavée à la culture (Le Grand Dégout culturel, 2008). Mon tout est une passionnante conversation sur un art qui les rassemble, l'un côté caméra, l’autre côté salle obscure. Fou d'archives, Jean-Gabriel Périot cherchait des livres qui l'aident à penser l'Histoire - pas ses grandes heures, mais ses fantômes, ses vaincus. Cinéphile compulsif, Alain Brossat cherchait sur le grand écran de nouveaux montages d'idées, loin de la social-démocratie télévisuelle. Leur rencontre s'est faite par œuvres interposées et, depuis près de quinze ans, à la lecture attentive de l'un répond le regard amical de l'autre.

À travers tant de sujets communs – Hiroshima, les tondues de la Libération, les migrants, etc. -, tous deux explorent ce « quelque chose » dans les ombres du XXe siècle « qui nous regarder ». Avec une même question lancinante : à quelle condition un cinéma peut-il encore être politique, à l'heure où la subversion prend la pose, où transgresser revient à attirer l'attention d'une sphère culturelle prête à faire la claque à tout et son contraire ? Pour y répondre, ils revisitent l'histoire du cinéma, aussi bien l’engagé que l’industriel, partagent des goûts qui feront crier les snobs (Jerry Lewis, les polars français des années 1960), décornent quelques vaches sacrées (Kechiche, le perroquet Ken Loach) et parlent de leur propre travail. « Faire du cinéma est probablement mon moyen de survie », confie Périot, car cet art fait exister à l'écran des petites communautés éphémères et fragiles, lesquelles sont autant de petites utopies. Le cinéma, art de l'amitié.

 

Philippe Chevallier
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Octobre 2018